Mémoire et identité


Bruno Benoît s’intéresse particulièrement à l’histoire politique lyonnaise, de la Révolution à nos jours, mais aussi à tout ce qui a trait aux violences, à la mémoire, et aux problèmes d’identité.
Les cinq documents proposés ici jalonnent l’histoire de Lyon de la Révolution au début du XXe siècle. Les événements rapportés ont marqué fortement la mémoire de la ville et de ses habitants et sont tous associés à un moment fondamental de l’histoire politique lyonnaise : 1793, 1815, 1831-1834, 1848, 1905.

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" Lyon, n’est plus ", décret de la Convention nationale, 12 octobre 1793

Ce décret de la Convention est le document fondateur de toute l’histoire contemporaine lyonnaise.

La Convention voit dans le soulèvement de Lyon du 29 mai 1793, qui n’a pourtant que des causes locales, une manifestation de contre-révolution. Le 7 août 1793, l’armée de la République met le siège devant Lyon. Le 9 octobre, après 62 jours de siège, le général Doppet prend la ville. Trois jours après, la Convention promulgue le décret. Celui-ci donne le coup d’envoi à une période de répression conduite au début par Couthon, puis par Collot d’Herbois et surtout par Fouché. Près de 1900 personnes, jugées sommairement, sont guillotinées place des Terreaux ou mitraillées dans la plaine des Brotteaux entre octobre 1793 et avril 1794 soit 1,5 % de la population de la ville. Cette régénération physique revêt aussi une dimension matérielle. Si la ville, comme le stipule les articles du décret, n’est pas démolie, les démolisseurs s’en prennent aux immeubles de la place Bellecour, symboles de sa morgue aristocratique. Les violences sont aussi symboliques. La ville n’est plus que le chef-lieu d’un département " croupion ", le département du Rhône, et perd son nom pour celui de " Ville-Affranchie ".

" Lyonnais, je vous aime ", déclaration de l’Empereur aux Lyonnais, 13 mars 1815

Ce document est une affiche officielle qui peut être considérée comme un document de propagande.
C’est le 10 mars vers 19 heures en provenance de l’île d’Elbe que Napoléon pénètre dans Lyon, illuminé et bruissant de cris de joie. Le 13 mars, vers midi, Napoléon quitte Lyon en empruntant les quais de Saône, pour rejoindre Paris. Avant de partir, il remet au maire de la ville, un royaliste repenti, cette proclamation qui a pour vocation d’être affichée massivement. Les mots qu’il emploie confirment la dimension affective qui lie l’Empereur à Lyon, ville qu’il a connue avant la Révolution et qu’il admire, ville à qui il a redonné sa prospérité mais aussi ville dont les élites ont soutenu le coup d’État de Brumaire et son action jusqu’en 1812 et où, en 1815, il reçoit le soutien du peuple de Lyon qui voit en lui le seul rempart contre le retour aux inégalités d’Ancien Régime.

Affiche illustrée pour la vente de l’ouvrage de Jean-Baptiste Monfalcon, Insurrections de Lyon, paru en 1834 chez l’imprimeur lyonnais Louis Perrin

Cette illustration diffusée par l’imprimeur est destinée aux élites lyonnaises qui sont d’éventuels acheteurs du livre.

C’est sur fond de tensions politiques et de conjoncture économique difficile, qu’éclatent les deux révoltes des canuts de 1831 et 1834. Jean-Baptiste Monfalcon (1792-1874), médecin, bibliothécaire de la ville et historien, écrit son livre à chaud. Il est bon de rappeler que les violences collectives de 1834 diffèrent de celles de 1831, les premières n’étant qu’une révolte salariale pour obtenir un meilleur tarif, les secondes cherchant à instaurer une République. Les élites lyonnaises redoutent ces violences qui blessent leur ville et font du tort à son économie. Cependant, même blessé, Lyon a raison des révolutionnaires et le drapeau de la Révolution ne passera pas par Lyon, car Lyon est une ville modérée et non la capitale du socialisme.

Lithographie de Cotton représentant la Promenade des 580 citoyens de la Croix-Rousse en 1848

Grâce au dessinateur, nous avons trace d’une manifestation qui a lieu en 1848 et qui met en scène les Voraces.

Le nom de Voraces apparaît à Lyon vers 1846 dans une ville où la Fabrique des tissus de soie anime l’économie et structure la société en faisant vivre difficilement la majorité des 250 000 habitants. Parmi les travailleurs de la soie ou canuts, existe à la Croix-Rousse un groupe solidaire et exigeant auprès des commerçants, surnommé les Voraces. Ce nom pourrait être aussi la déformation de Dévoirant (compagnon du Devoir) en dévorant, puis en vorace.
Ces Voraces sont des acteurs essentiels des débuts de la Seconde République à Lyon. Ce sont des républicains zélés, des nouveaux sans-culottes n’hésitant pas à s’organiser en milice armée pour défendre la mairie provisoire contre toute tentative de la réaction. Ils encadrent les ouvriers sur les chantiers nationaux qui consistent à Lyon à démolir les fortifications entourant la ville et défilent de façon civique avec le buste de Marianne comme le montre la gravure.

Procès-verbal de l’élection d’Édouard Herriot par le Conseil municipal, séance du 3 novembre 1905

Ce document se trouve dans les procès-verbaux des délibérations du conseil municipal de Lyon.

Le 29 octobre 1905, le maire Augagneur démissionne. Le vendredi 3 novembre 1905 à 20 heures 30, Édouard Herriot est élu maire au premier tour de scrutin par 30 voix sur 52 exprimées, 22 allant au socialiste Arnaud. Il commence alors une carrière municipale qui se terminera avec sa mort en mars 1957, après 52 ans de mairie, seulement interrompus par la deuxième guerre mondiale. Sur le document, il est possible de relever en bas à gauche, la signature de Justin Godart, lui aussi adjoint d’Augagneur, qui aurait pu être élu maire, mais dont la personnalité à Gauche, étant plus marquée que celle d’Herriot, ne plaît pas à Augagneur. En effet, ce dernier pense, qu’après son gouvernorat de Madagascar qui lui fait quitter Lyon, il pourra récupérer facilement la mairie lyonnaise, car il est persuadé que le jeune Édouard, étant plus fait pour la toge professorale que pour la carrière politique, ne peut lui faire de l’ombre !

Bibliographie

Bruno BENOIT et Roland SAUSSAC, Guide historique de la Révolution à Lyon : 1789-1799, Lyon, Éditions de Trévoux, 1988, 191 p.

Bruno BENOIT, " Analyse des violences urbaines à l’époque révolutionnaire : l’exemple lyonnais ", dans Ville et Révolution française, actes du colloque international, Lyon, mars 1993, avant-propos de Bruno BENOIT, Lyon, 1994, pp. 147-162.

Bruno BENOIT, " Peut-on commémorer la Révolution à Lyon ? ", dans Le geste commémoratif, Lyon, Sup’Copy, Ceriep, 1994, pp. 323-334.

Quand Lyon rugit : les colères de Lyon du XIIe au XXe siècle, sous la direction de Bruno BENOIT et Raymond CURTET, Lyon, Editions lyonnaises d’art et d’histoire, 1998, 159 p.

Bruno BENOIT, L’identité politique de Lyon entre violences collectives et mémoire des élites (1786-1905), Paris-Montréal, L’Harmattan, 1999, 239 p.