Le bon plan

Cette thèse piétine. Sur les trois plans d’embellissement qui ont structuré la commune de la Guillotière sur la rive gauche du Rhône, deux ont disparu. Hormis le premier, le célèbre plan Morand, on ne sait rien de celui du voyer Scève de 1827, ni de celui réalisé en 1846 par les deux cartographes Van Doren et Terra. Ces deux plans ont influencé ce vaste morceau de ville autant que celui de Morand, mais personne ne le sait. Avec André Maire, qui connaît les archives municipales comme sa poche, nous avons tout fouillé, même les réserves. Bien avant, Henri Hours et Maurice Vanario, qui, les premiers, ont compris l’importance des plans de ville pour restituer l’histoire de Lyon, ont réalisé un précieux fichier des plans. Puis, Jeanne-Marie Dureau a lancé l’inventaire systématique des archives qui est alors en cours. Mais rien n’y fait, les deux plans de " La Guille " restent introuvables.

Je dois donc me rendre à l’évidence, il me faut rédiger sans l’aide de ces documents graphiques essentiels, avec les seules informations trouvées dans les textes d’époque. Je décide de mettre l’accent sur la conception des plans et sur les conditions de leur application, en évitant soigneusement de les décrire. Je ne peux pas faire mieux, le temps presse. J’en suis à la relecture avant corrections définitives lorsque Noëlle Chiron, chargée des expositions aux Archives, m’appelle pour m’annoncer deux nouvelles. Noëlle et Gérard Bruyère, chargé de l’inventaire des documents figurés, préparent une exposition sur les plans de Lyon, accompagnée d’un catalogue pour 1997 et demandent ma collaboration. J’accepte immédiatement. La deuxième nouvelle est plus extraordinaire. À l’occasion de ce projet, ils ont entrepris des recherches dans des fonds non encore inventoriés et viennent de découvrir un immense plan au 1:500e, une échelle d’une grande précision, dessiné sur 58 planches non datées et non signées qui représentent la Guillotière. Ils demandent mon aide pour l’identifier. J’arrive au plus vite, accompagnée de ma fille de neuf ans, Noémie, en congé pour cause de grève des instituteurs. Noëlle nous attend dans son bureau, elle nous habille avec de vieilles blouses et nous voilà parties toutes les trois dans le dédale des réserves.

C’est un monde à part, suspendu dans le temps. Les grilles métalliques qui servent de planchers décuplent le son de nos pas. Certaines liasses sont là depuis plus d’un siècle et n’ont jamais été ouvertes. Noémie n’en revient pas. Nous arrivons enfin et je ne peux cacher ma déception. Ce n’est pas un " beau " plan comme en dessineront quelques dix ans plus tard Dignoscyo père et fils. Ici, pas d’aquarelle, pas d’aplats colorés, la facture est quelconque. Je mets mon sens de l’esthétique de côté et je commence l’étude. Le bâti figure en aplats gris, les alignements avec une ligne rouge continue et les extensions avec une ligne rouge en pointillés. Il y a donc deux plans en un : un relevé de l’existant en gris et un projet en rouge. Ce pourrait bien être l’un des deux plans que je recherche. Maintenant, la datation. J’ai mis au point un système simple pour dater les plans de la rive gauche : le croisement entre le cours Lafayette et l’avenue de Saxe, deux grandes artères, est l’une des zones qui a le plus changé au cours du XIXe siècle. Rurale jusque vers 1824, elle se bâtit ensuite progressivement. Je sors les documents que j’ai préparés pour me servir de tests et compare maison par maison. Pas de doute, j’arrive à 1846. Or, je sais par les délibérations du conseil municipal que Van Doren et Terra ont rendu leurs documents le 15 septembre de cette année là. L’attribution est faite. Elle sera confirmée quelques semaines plus tard car l’équipe des Archives a mis la main sur un inventaire de 1894 qui signale les 58 feuilles et précise qu’il existe une version réduite au 1:2000e signée par Van Doren.

Il ne me reste plus qu’à rédiger l’article du catalogue et à réécrire ma thèse. Il me faudra attendre l’année 2001 pour que l’assemblage effectué par les Archives me permette enfin de découvrir le plan dans son ensemble. Quant au dernier plan manquant, celui de Scève en 1827, je ne désespère pas de le retrouver un jour.


Bibliographie

Anne-Sophie CLEMENÇON, " Le plan Crépet de 1845 : projet utopique ou modèle pour le troisième plan d’extension de la Guillotière ? ", dans Forma urbis : les plans généraux de Lyon du XVIe au XXe siècle, catalogue d’exposition des Archives municipales de Lyon, sous la direction de Jeanne-Marie DUREAU, Lyon, Archives municipales, 1997, pp. 103-110, (coll. Les dossiers des Archives municipales, 10).


Anne-Sophie CLEMENÇON, La fabrication de la ville ordinaire. Pour comprendre les processus d'élaboration des formes urbaines, l'exemple du domaine des Hospices Civils de Lyon : Lyon-Guillotière Rive gauche du Rhône 1781-1914, thèse de doctorat d'histoire de l'art sous la direction de François LOYER, université Lumière Lyon 2, juin 1999, volume I pp. 1-486, volume II pp. 487-842, catalogue des plans 210 p., 177 pl.