Propagande familiale et divertissement sous Napoléon Ier

Dans le cadre d’une thèse de doctorat intitulée " Constructing order in post-revolutionary France: women’s identities and cultural practices, 1800-1830 " et soutenue à l’université de Pennsylvanie en 1998, je traite des liens entre les pratiques culturelles et l’évolution des structures sociales sous Napoléon Ier et la Restauration. J’ai réalisé mes recherches à Lyon et ailleurs en France. A l’exception de quelques sources publiées, les documents de police constituent l’essentiel de celles utilisées dans cette thèse. Ces documents sont une source précieuse de détails sur la vie quotidienne et les comportements des différents groupes sociaux.

La plupart des recherches portant sur l’époque napoléonienne concernent l’organisation militaire et administrative du Grand Empire ou la personne de l’Empereur. Mais Napoléon ne cherchait pas seulement à conquérir des terres. Pour maintenir l’ordre social, il voulait aussi contrôler les mœurs. Le Code Napoléonien s’inscrit, entre autre, dans le cadre de tels efforts. Ainsi, les fêtes officielles, en plus du plaisir qu’elles procuraient au peuple, étaient utilisées à des fins de propagande.

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Après les expériences de l’époque révolutionnaire, les fêtes officielles, sous Napoléon, sont revenues aux modèles de l’Ancien Régime. Les jours de fête correspondaient aux événements importants de la vie du souverain - anniversaire, grandes victoires- et à ceux de sa vie personnelle - mariage, naissance, baptême. Ces derniers fournissaient l’occasion de promouvoir le modèle familial souhaité par les autorités.

Lors du mariage de l’Empereur avec Marie-Louise en 1810, toutes les villes de France étaient appelées à sponsoriser des mariages organisés le même jour. Conformément à sa taille, Lyon devait choisir dix filles à doter de 600 francs chacune. Le premier document exposé ici est une lettre adressée au maire de Lyon par le préfet du Rhône avec des instructions concernant le choix des époux. Il était impératif que les filles " jouissent d’une réputation parfaite " et que les hommes soient d’anciens militaires ayant " servi avec [...] succès ". Les autorités voulaient récompenser, chez la femme, la vertu, la pureté des mœurs et, chez l’homme, le courage. Idéalement, chacun avait son rôle dans ce système clairement défini. Pour faire passer le message au plus grand nombre, il fallait attirer la foule à l’aide de divertissements précisés dans le dernier paragraphe de la lettre : jeux, illuminations, distributions de comestibles. Le deuxième document, une affiche annonçant cette fête, renseignait la population sur les détails de ces réjouissances.

Les discours prononcés lors des cérémonies mettent en évidence les objectifs de propagande. L’un de ces discours, notre troisième document, utilisé à l’occasion de la fête organisée pour le baptême du fils de Napoléon, commence par un éloge de l’action bienfaisante de l’Empereur. Napoléon est cité au début et à la fin de ce texte dont le but, comme celui de la fête en général, était de glorifier le souverain. Cependant, le reste du discours s’adresse aux couples. Cette partie illustre avec clarté le désir de séparer les rôles et vertus des deux sexes et de construire l’image d’une famille stable qui serve de base à toute la société. Mais en accordant tellement d’importance à la famille comme garantie de l’ordre social, ce discours renforce le pouvoir des femmes, surtout en tant que mères. Ces femmes choisies pour les cérémonies officielles et publiques devaient servir de modèle et ne restaient pas toujours dans l’ombre de leurs maris. Ainsi, tout en mettant en évidence le rôle principalement domestique et familial de la femme, ce même discours implique la mère de famille dans la construction de l’ordre social et politique recherché par l’Empereur. Même Napoléon, misogyne notoire, dépendait des femmes pour arriver à ses fins politiques et militaires.


Bibliographie

Denise Zara DAVIDSON, Constructing order in post-revolutionary France : women’s identities and cultural practices, 1800-1830, thèse de philosphie, université de Pensylvanie, 1997, 326 p.