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Comment les menuisiers en sièges lyonnais sortent de lanonymat |
La recherche darchives est un jeu de piste, voilà comment deux documents intéressant lhistoire du mobilier lyonnais du XVIIIe siècle ont été récemment et fortuitement découverts. Une recherche sur les faïenciers lyonnais du XVIIIe siècle dans les minutes de notaires aux Archives départementales du Rhône a conduit par hasard Bernard Deloche jusquà linventaire de latelier de Pierre Nogaret (1718-1771), le virtuose du siège Louis XV ; de même, dans les registres de contraventions des Archives municipales de Lyon, une enquête sur la marque des cartes et cuivres a confronté Jean-Yves Mornand aux étonnants démêlés qui furent à lorigine de la radiation de la maîtrise du beau-frère de Nogaret, François Canot (1721-1786).
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Latelier de Pierre Nogaret
La veuve de Nogaret, Anne Muguet, cède le fonds en 1772 à Nicolas Parmantier, auteur de nombreux sièges estampillés de son nom. Cela donne lieu à un inventaire qui permet de localiser exactement latelier. Nogaret quitte son atelier de la rue Saint-Romain au moment du mariage de Canot en 1748. Un plan dressé pour un projet dalignement en 1814 situe la parcelle : elle sétendait de la rue Dorée (actuelle rue Marius Gonin prolongée par lavenue du Doyenné) jusquà la rue des Prêtres (aujourdhui rue Mgr Lavarenne) et longeait la rue Saint-Pierre-le-Vieux.
La description du fonds informe sur la nature des bois stockés (hêtre et noyer, les deux essences exploitées par les menuisiers en sièges lyonnais ; mais aussi chêne, frêne et tilleul, qui suggèrent la fabrication de parquets et de boiseries) ; elle révèle aussi limportance de lentreprise (9 établis, alors que la plupart des menuisiers lyonnais travaillaient seuls, avec un compagnon ou un apprenti) et ses échanges avec létranger. Enfin, la liste des sièges subsistant dans les remises - plus de 297 pièces ! - donne une idée de la variété et du prix de cette production : chaises, fauteuils, sofas, escabeaux de bibliothèques, écrans de cheminée, etc. Le tout pour plus dun million de francs actuels.
François Canot déchu de la maîtrise des menuisiers
Prudence ou calcul, Nogaret resta à lécart des démêlés professionnels de son beau-frère, parisien tout comme lui. La date de réception à la maîtrise de Canot ne figure dans aucun document mais le " S " sommant son nom dans son estampille suggère une appartenance à la communauté des peintres et sculpteurs. Les corporations imposaient des conditions très strictes daccès à la maîtrise (temps dapprentissage puis de compagnonnage et contraintes fiscales). Or Canot aurait versé 262 livres, soit environ 80 000 francs actuels, pour obtenir illégalement la maîtrise et se dispenser de lapprentissage. Un procès sensuivit, dabord au sein de la communauté (la radiation de Canot fut réclamée par 98 maîtres contre 6), puis auprès du Consulat qui confirma ce verdict le 20 avril 1758. Canot prétendit avoir interjeté appel de cette décision et lon ignore sil fut un jour rétabli dans ses titres, mais après 1759 il cessa de se qualifier de maître menuisier dans les annonces publicitaires des Affiches de Lyon.
Lexistence probable dun chef-duvre des menuisiers
Les règlements et statuts des menuisiers lyonnais, muets sur la question du chef-duvre, semblaient confirmer les lettres patentes garantissant à Lyon depuis 1512 la franchise des métiers et lexemption du chef-duvre. Or, le caractère anecdotique de la destitution de Canot révèle une information capitale pour lhistoire des métiers : Canot affirmait avoir été " admis [à la maîtrise] après avoir fait son chef-duvre ". Alors que la plupart des villes de France précisaient en détail le type et les propriétés de lobjet à réaliser, les normes du chef-duvre des menuisiers lyonnais, si jamais elles furent un jour codifiées par écrit, nont pas encore été retrouvées. Mais nous savons désormais que les menuisiers lyonnais néchappaient pas à lobligation du chef-duvre.
Bibliographie
Marius AUDIN et Eugène VIAL, Dictionnaire des artistes et ouvriers dart, Paris, Bibliothèque dart et darchéologie, 1918.
Bernard DELOCHE, dans LEstampille :
- " Le siège lyonnais : une maîtrise accomplie du style Louis XV ", avec la collaboration de Jean REY, février 1979.
- " Chaise à la reine cannée Louis XV à lestampille de Nogaret à Lyon ", avec la collaboration de Jean REY, juillet 1979.
- " Fauteuil en cabriolet lyonnais attribué à Nogaret ", avec la collaboration de Jean REY, septembre 1979.
Bernard DELOCHE, dans Bulletin municipal officiel de la ville de Lyon :
- " Un grand maître lyonnais : Pierre Nogaret (1718-1771) ", avec la collaboration de Jean REY, 4 février 1979.
- " Sièges lyonnais : Nogaret ou Canot ? Lordinateur répondra bientôt ", 19 juin 1983.
Bernard DELOCHE, " Suite de quatre fauteuils de Nogaret à la manière parisienne au Musée historique de Lyon ", Bulletin des musées et monuments lyonnais, n° 4, 1980, pp. 413-423.
Bernard DELOCHE, " La statistique au service de lattribution : typologie et règles de composition dans loeuvre de Nogaret ", Ethnologie française, XV, juillet-septembre 1985.
Bernard DELOCHE, " Les Nogaret du legs Baudouin-Jaubert au musée lyonnais des arts décoratifs, une référence obligée de lexpertise des spécimens rares ? ", Bulletin des musées et monuments lyonnais, n° 1, 1987.
Bernard DELOCHE, Les ateliers lyonnais de menuiserie en meubles et débénisterie, Lyon, Éditions lyonnaises dart et dhistoire, 1992, 145 p.