Combats dans l’ombre


Spécialiste de l’histoire de la Résistance entre 1940 et 1944, Laurent Douzou avait pour sujet de thèse de doctorat d’État Le Mouvement de Résistance Libération de zone sud. Ses recherches portent sur la Résistance comme objet d’histoire et enjeu de mémoire. Il commente ici un dactylogramme sans signature qui figure dans le fonds des Archives municipales.

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Le dactylogramme que détiennent les Archives municipales de Lyon est une pièce de première importance. Titré " Combats dans l’ombre ", le texte, tapé sur vingt-quatre pages de ce papier pelure de mauvaise qualité qui a été l’ordinaire du combat quotidien des Résistants, est un témoignage tout droit issu de la phase de lutte clandestine.

Nous sommes en 1945 dans la liesse consécutive à la capitulation des nazis. Et l’émotion submerge son auteur qui, en ces heures d’allégresse, se remémore " les traits de nos disparus, les vrais combattants de l’ombre, qui moururent isolés dans toute cette foule qui aujourd’hui pavoise, rit et chante ". Ambivalence des sentiments mêlés d’un homme qui savoure une victoire au goût amer parce qu’elle a été obtenue au prix de la disparition de nombre de ses camarades, parce que " Messieurs les réalistes " ont vite fait leur chemin et " se sont certainement occupés de l’épuration ou autres commissions de criblage ".

Au fil d’anecdotes, tantôt plaisantes, tantôt dramatiques, l’auteur retrace la véritable épopée que fut l’impression de feuilles clandestines entre 1941 et 1944 à Lyon. Il sait de quoi il parle puisqu’il a été un pionnier de cette activité essentielle. De la parution des Petites Ailes en 1941 jusqu’à la remarquable et puissante organisation de l’imprimerie clandestine de la rue Viala en 1944, où était notamment imprimé Combat, il a été au coeur de ce labeur dangereux, ingrat et si essentiel pour reconquérir l’opinion. Le dactylogramme n’est pas signé. Sa teneur, son titre dissipent cependant toute incertitude. Nous avons là une mouture originelle d’un petit livre paru en 1945 chez Derain à Lyon, signé Dupont, sous le titre Combats dans l’ombre. Derrière le pseudonyme de Dupont se cache Joseph Martinet, l’imprimeur de Villeurbanne, qui soutint constamment les efforts des mouvements pour faire paraître régulièrement les numéros de leurs journaux. Combat, Libération, l’Insurgé, Franc-Tireur, Le Courrier du Témoignage Chrétien, lui doivent une fière chandelle.

Sous sa plume revivent les résistants qu’il a bien connus et dont la conscience collective conserve aujourd’hui encore la mémoire, Berthy Albrecht, André Bollier, Henri Frenay mais aussi quantité d’autres dont les traits se sont graduellement estompés, de Lucienne Guezennec, cheville ouvrière de l’imprimerie de la rue Viala, à Francisque Vacher, photograveur au Progrès. Par sa plume surtout, c’est un fragment de cette résistance dans sa quotidienneté qui nous est restituée dans sa pureté, sans effets de manche, avec simplicité et chaleur.

Évoquant les heures qui suivirent la libération de Lyon, Joseph Martinet se souvient :
" J’avançais comme un automate. Je songeais aux luttes où nous avions été isolés, face à la meute sanglante qui nous guettait de toutes parts, à ces camarades qu’un geste collectif de la foule eût sauvés . "
Oui, vraiment, un texte splendide, baigné de cette passion qui a marqué toute la geste résistante. Sa beauté et son intérêt tiennent à ce que Martinet n’emprunte pas au registre de la grandiloquence mais, en laissant courir sa plume et son émotion, à celui de l’authenticité.


Bibliographie

Laurent DOUZOU, " La Résistance au lendemain de la mort de Jean Moulin : Libération-Sud ", Les cahiers de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, n° 27, juin 1994, pp. 77-95.

Laurent DOUZOU, La désobéissance : histoire d’un mouvement et d’un journal clandestins, Libération-Sud, 1940-1944, Paris, Odile Jacob, 1995, 480 p.