À propos de la Révolution et de deux dessins de Claude Cochet

L'amateur peut-il prendre place à la cour de Clio, à côté des hommes qui ont consacré leur existence à l'histoire ou à son enseignement ou à côté de ceux qui conservent, classent et font connaître les archives ?
La vocation de l’amateur, toujours vive, souvent tardive, l'oblige à " faire vite " et à préférer les domaines qu’éclairent ses compétences professionnelles. Longtemps membre de la municipalité de Lyon, l’auteur de ces lignes s’est intéressé à l’histoire de l'Hôtel de Ville mais aussi à des personnages oubliés par l'histoire officielle : Champagneux, Chevassu, Paganucci, Smith...
Souvent long et complexe, le travail du chercheur bénéficie parfois de découvertes heureuses, surgissant au hasard d'une vente ou d'une donation.
Il en est ainsi de deux dessins de l'architecte Claude Ennemond Balthazard Cochet (Lyon 1760 - ibid. 1835), présentés ici. Les dessins d'architecte sont appréciés pour leur aspect artistique mais aussi parce qu’ils se montrent " analogues aux circonstances ", selon une expression courante du XVIIIe siècle, c'est-à-dire conformes au sentiment, aux idées politiques et religieuses du temps.
Ces deux critères déterminèrent l'achat de ces pièces par la société des Amis des Archives municipales de Lyon pour en faire don à ces dernières. Ces oeuvres, respectivement conçues en 1790 et 1821, renseignent sur la façon dont fut ressentie la période révolutionnaire, à quelques trente années de distance.

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Monument de la fête de la Fédération

Le 30 mai 1790, la Garde Nationale de Lyon a l’initiative d'une grande fédération des milices nouvellement instituées, sous forme d'une manifestation devant exprimer l'unité de la Nation enfin réunie en ses trois ordres, clergé, noblesse et tiers-état. Cochet conçoit à cette occasion un projet de décor éphémère dans le goût de la tradition romaine et des fêtes de l’Ancien Régime.
L’évènement doit se dérouler au camp fédératif, dans la plaine des Brotteaux, où le peuple et l'armée s'assembleront autour d'une haute montagne, symbole de la nation. Elle se trouve couronnée d'autels car la nation est (encore) catholique, et de la statue de la Liberté, en hommage au Roi, restaurateur des libertés.
La fête suscita l'enthousiasme comme en témoigne le récit de Madame Roland qui parut dans une livraison spéciale du Courrier de Lyon. Moins connu est le récit de Champagneux dont le ton, singulièrement grave, laisse entrevoir un sombre avenir.

Crypte du monument commémoratif des Brotteaux (1814-1817)

En effet, les temps ont changé.
En janvier 1794, le frère de Cochet est fusillé pour avoir participé aux travaux des rebelles à la fonderie de l'ancien monastère de Sainte-Claire. En 1795, l’architecte dessine un cénotaphe de bois et de plâtre en souvenir des victimes de la Révolution. Orné des sculptures de Chinard et des strophes de Delandine, il est érigé en mai dans la plaine des Brotteaux et détruit en janvier 1796.
Est-ce pour des raisons politiques qu'il refuse de faire le décor de la fête commémorative de la chute de la Royauté, le 10 août 1795 ?
En dépit d’une tentative avortée en 1809, un monument durable destiné aux victimes de la Révolution ne sera construit qu’à partir de 1814 : la première pierre du monument est posée le 24 octobre par le comte d'Artois qui rencontre alors Cochet et examine son projet qui semble dès lors retenu.
Toutefois un concours a lieu en juillet 1816. Cochet le remporte le 22 mai 1817 et la chapelle est inaugurée le 28 mai 1819.
Le dessin est intitulé Devis pour l'encaissement en pierre de taille du cercueil de Mr le comte de Précy et daté du 30 avril 1821, bien après l'inauguration. Pourquoi ?
Le logement du desservant n'a été construit qu’après la chapelle, laquelle ne fut pourvue d'un aumonier qu'à partir de 1833 et qu'une communauté religieuse rejoignit deux ans plus tard.
Cochet est chargé de construire le tombeau dans lequel le corps du comte de Précy sera transféré le 25 septembre 1821.
L'exhumation des victimes de la Révolution, envisagée dès 1814, ne commence qu'en mars 1823. Le dessin de Cochet a donc pour objet d'indiquer la disposition des ossements autour du monument érigé à Précy.

Sources

Girard notaire, 20 octobre 1792, mariage de Sr Claude Cochet avec Dlle Josette Françoise Papillon. Archives départementales du Rhône, 3E 5266.

Journal de Pelzin, t.1, thermidor an III [1795], p. 443.

L.A. CHAMPAGNEUX, " Discours préliminaire " de l’édition des Oeuvres de Madame Roland, femme de l’ex-ministre de l’Intérieur, Paris, Bidault, 1796, p. XXij et sq.

A.F. DELANDINE, Tableau des prisons de Lyon, Lyon, Daval, 1797.

Journal de Lyon, n° 84, Ballanche, 25 octobre 1814.

Programme d’un concours pour la construction d’un monument religieux à élever aux Brotteaux à la Mémoire des victimes du Siège de Lyon sur le sol même où il en fut immolé un si grand nombre..., Lyon, Ballanche, 1816, p. in 4.

Bibliothèque municipale de Lyon, Rés. 27801.

Bibliographie

Notice historique sur l’exhumation du corps du lieutenant-général comte de Précy et sa translation [...] dans le caveau sépulcral du monument religieux élevé aux Brotteaux, Lyon, Rusand, 1822.

G. CHARVET, Architectes lyonnais, Lyon, Bernoux et Cumin, 1899.

STEYERT, Nouvelle histoire de Lyon, Lyon, Bernoux et Cumin, 1899.

A. PORTALLIER et F. VINDRY, Tableau général des victimes et martyrs de la Révolution, Saint-Étienne, Théollier, 1911 ; Yssingeaux, 1911.

Marius AUDIN et Eugène VIAL, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art, Paris, Bibliothèque d’art et d’archéologie, 1918.

Maurice De BOISSIEU, Rapport présenté à la Commission du monument religieux des Brotteaux, Lyon, 1925, reproduit dans Le Monument religieux des Brotteaux, Lyon, LUGD, 1989.

Maurice de BOISSIEU, André de FEYDEAU de SAINT-CHRISTOPHE, Paul FEUGA, Le monument religieux des Brotteaux, historique de la commission, liste des victimes du siège de Lyon, Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 1989, 52 p., (Collection du bicentenaire de la Révolution française).