Recueil de caricatures, de journaux et d’affiches (second Empire)

À l’occasion d’une recherche sur les caricatures parues dans la presse lyonnaise ou parisienne entre 1848 et 1852, j’ai pris connaissance de l’existence d’un recueil acquis par les Archives municipales en 1995 dans le commerce lyonnais. Cet ensemble relié est constitué de feuilles volantes non datées et de journaux édités entre 1868 et 1873. Il s’agit de caricatures chargeant le régime impérial de Napoléon III, de quelques feuilles lyonnaises (Galerie du Journal de Guignol) et de différents journaux lyonnais ou parisiens : L’Éclipse (1868), Le Petit Lyonnais (1871, 1872), La Mascarade (1869, 1873), La Commune (n° 1, 21 décembre 1970), Le Sifflet (1872), Le Corsaire (1873). L’ensemble comprend aussi une déclaration de foi de candidats pour une élection (non datée), un journal de dépêches (La Défense nationale, Lyon, 1870), un avis de formation de la Garde nationale (Lyon, 1er août 1870) et des gravures de mode.

* * *

Datant de la période qui précède la chute du second Empire, les documents étudiés témoignent de la vigueur de certains caricaturistes aiguisée par l’attitude répressive du gouvernement à l’encontre de la presse d’opposition. Ils ont été choisis en raison d’un lien thématique, iconographique ou de leur intérêt historique.
Dans le numéro du 15 mars 1868 de L’Éclipse, journal paru de février 1868 à novembre 1869 en remplacement de La Lune (mars à décembre 1867) suspendue par la censure, (1) le caricaturiste Gill illustre la une d’une charge typique des conventions du genre (tête hypertrophiée). Cet exemple constitue un témoignage précieux de l’histoire de la caricature.
D’autres conventions de représentations rendent aujourd’hui la compréhension de l’allusion politique plus difficile. Le procédé de parenté iconographique permet alors d’opérer des rapprochements et, avec l’aide indispensable de l’histoire, de restituer tout ou partie du sens. Les feuilles volantes non datées (support couramment utilisé) présentées ici ont pour titre Le Sire de Framboisy (2), Le Sire de Badinguet partant pour la Syrie (3), le Voyage de Syrie (4) et Partant pour la Syrie (5). Les n° 2 et 5 sont des images muettes donc obscures, c’est la similitude iconographique avec deux autres feuilles légendées qui servira de clé sémantique. Les thèmes traités sont connexes : l’affaire des chrétiens de Syrie (1860), l’influence supposée de l’impératrice Eugénie sur les décisions politiques de Napoléon III, la faiblesse de l’Empereur en privé et son attitude corrompue. Dans Le Sire de Framboisy, le caricaturiste utilise métaphoriquement ce personnage de chanson populaire qui part à la guerre en laissant sa maison et sa femme pour faire allusion à un départ de Napoléon III (1859, départ pour l’armée ou mai 1865, pour l’Algérie ?) qui laisse l’empire en régence à Eugénie : l’empereur est assis à l’envers sur un âne tandis que l’impératrice s’éloigne au bras d’un autre homme. Le même thème iconographique dans la feuille n° 3 évoque l’intervention de la France en Syrie. Le lecteur est aidé cette fois par la légende et l’identification des personnages. Badinguet est le surnom convenu de Napoléon III et Fleury, un général de division intime de l’empereur. Le Voyage de Syrie présente aussi deux variations, l’une muette et l’autre légendée. La seconde utilise le rébus, le zoomorphisme et la légende numérotée pour une identification cette fois certaine des personnages. Ce sont, pour la plupart, des proches de Napoléon III : le maréchal Leboeuf, ministre de la guerre, Fleury, Rouher, le " vice empereur ", Pietri, secrétaire particulier au zèle répressif, Maupas, déjà présent lors du coup d’État de 1852, Persigny, ancien ministre de l’Intérieur, homme aux procédés autoritaires et auteur d’une circulaire en 1861 sur la liberté de la presse. La féroce représentation de Napoléon III en cochon Badinguet peut s’expliquer, mais celle en chameau d’Eugénie paraît plus absconse. C’est peut-être un emprunt au répertoire biblique, à la scène du repos lors de la fuite en Égypte, allusion fine à la grande piété d’Eugénie et donc à son intérêt pour l’affaire de Syrie où près de 10000 chrétiens avaient été massacrés.

Bibliographie

E. BOURLOTON, G. COUGNY, A. ROBERT, Dictionnaire des parlementaires (1789-1889), Paris, Bourloton, 1891.

Histoire générale de la presse française, T. 3 : De 1871 à 1940, Paris, Presses universitaires de France, 1972.

La caricature entre République et censure : l’imagerie satirique en France de 1830 à 1880, un discours de résistance ?, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1997.

P. GUIRAL, Le personnel gouvernemental du second Empire ; G. SPILLMANN, L’expédition du Liban (1860-1861).
www.napoleon.org

A. OPINEL, " Les images de 1848 à Lyon : une iconographie bavarde ", colloque 1848 à Lyon et dans sa région : usages, discours, images, Institut d’Études politiques, université Lumière Lyon 2, novembre 1998, (actes à paraître).