Au sujet de dessins attribués à Willem van de Velde l’Ancien (1611-1693)

Si l’on ne trouve pas toujours ce que l’on cherche dans la consultation d’un fonds d’archives, l’inverse peut aussi se produire et confronter le chercheur à un monde auquel il ne pensait pas. C’est ce qui s’est passé lorsque, consultant les cartons de la collection de l’architecte Antoine Morand (1727-1794), j’ai découvert une série de neuf dessins représentant des batailles navales, identifiées comme de main nordique et du XVIIe siècle (14 II D 886 à 894).
Dès lors, que faire ?

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D’abord s’étonner de la présence de ces oeuvres dans la collection d’un architecte français du XVIIIe siècle qui achetait souvent des dessins pour son travail, ou son plaisir. Donc, admettre l’improbable, le choix d’un amateur.

Ensuite, examiner ces dessins d’une facture très particulière : bandes de papier assez fort, jauni et mordu sur les bords, tous au lavis d’encre de Chine, aux subtiles valeurs de différents gris, rehaussées à la plume, avec une énergie qui donne de la grandeur à ces petits navires de guerre ; plusieurs portent des inscriptions presque illisibles à la plume ou au crayon ; essayer de les déchiffrer avec l’aide d’amis néerlandais et d’un chercheur de passage, Dirk Jacob Jansen. 14 II D 888 : " de stat Goerede " (ville de Zélande), " jacht van prins Maurits grave van Nassauw " ; 14 II D 890 : " mooren ", (pourquoi les Maures ?) , ou encore " Gra[na]de " (pourquoi La Grenade, l’île ou le navire ?) et enfin, à peine visible sous un navire, " vrijheyt " (" la Liberté ", navire amiral de la flotte hollandaise ) ; 14 II D 891 : " la bataille de Milord Obdam ", de la main de Morand, ce qui prouve son intérêt pour ces dessins : il s’agit de Jacob, baron van Wassenaar, van Obdam (1616-1665) qui dirigea plusieurs fois la flotte des Provinces-Unies et mourut lors d’un combat naval contre l’Angleterre en 1665.

S’informer aussi sur les œuvres de Willem van de Velde l’Ancien : il fit des milliers de dessins de reportage sur les batailles navales entre l’Angleterre et les Provinces-Unies avant de passer à l’ennemi en 1672 et de finir sa vie à Greenwich, ville dont le musée maritime conserve nombre de feuilles de sa main, cataloguées par M.S. Robinson en 1958 et 1974. Consulter alors ces deux volumes et les catalogues des expositions organisées en 1989 à l’Institut néerlandais à Paris et à Minneapolis en 1990, sur le thème de la peinture de marines au XVIIe siècle.

Puis comparer les œuvres reproduites dans ces publications et les feuilles de Lyon et enfin, peut-être, trouver la clé de l’énigme.
Willem van de Velde a illustré la campagne menée entre avril et octobre 1658 par les flottes hollandaise et danoise contre la Suède, qui bloquait le détroit du Sund, arrêtant tout commerce. Cette expédition, dirigée par Milord Obdam, partit de Zélande près de la ville de Goeree (14 II D 888) et fut victorieuse ; ce fut l’" expédition du Nord " dont le musée de Greenwich conserve trente-cinq feuilles sur la quarantaine exécutées. On peut imaginer que les feuilles de Lyon s’insèrent dans le reportage de l’artiste, en se rapportant au rassemblement (14 II D 888) et surtout au combat final dont la légende du 14 II D 891 fait le récit : " ce même lundi, où un gros bateau suédois [...] avec quarante canons... échoué au coin de l’île de [?] a été mis en flamme par des petits bateaux et nos navires qui n’étaient pas encore capables... sont mis de nouveau sous le commandement de l’amiral Selle [?] devant Lantskroon sur l’ordre de l’amiral Seigneur van Obdam... ".
Dès lors, rêver que nous sommes en présence de pièces inconnues de cet ensemble, dont la représentation de l’incendie du navire suédois, qui permit la victoire des " petits " bateaux des Provinces-Unies (14 II D 892).

Réfléchir cependant sur le fait que ce travail de comparaison s’est fait à partir de photographies qui pourraient être des copies d’après van de Velde et qu’il resterait à apprécier les qualités graphiques de ces dessins par rapport à des oeuvres " sûres ". Minuscules dessins, grands souvenirs patriotiques, mais qui les aurait localisés dans une ville aussi étrangère aux batailles navales que Lyon ? C’est un coup du hasard, si important et stimulant dans la recherche qu’il doit être inclus dans ses paramètres. Reste à les faire connaître et c’est la dernière phase de cette amusante enquête.


Bibliographie

M.S. ROBINSON, Van de Velde Drawings, a Catalogue of Drawings in the National Museum made by the Elder and the Younger Willelm van de Velde, Cambridge, t.1, 1958, t.2, 1974.

Maria VAN BERGE-GERBAUD, Éloge de la navigation hollandaise au XVIIe siècle, catalogue d’exposition, Paris, Institut néerlandais, Fondation Custodia, 1989.

George S. KEYES, Mirror of Empire. Dutch Marine Art of the seventeenth Century, catalogue d’exposition, Minneapolis, The Minneapolis Institute, 1990.