Le 14 juillet " du temps qu’il y avait une République " (Charles Péguy)

A ma sortie de l’École normale supérieure, je songeai à une thèse sur l’histoire de la municipalité lyonnaise dans la première moitié du XXe siècle. C’est ainsi que, en 1974, je découvris les archives municipales de Lyon qui s’abritaient alors sous les combles de l’Hôtel de Ville. Le conservateur, Henri Hours, me fit connaître la richesse d’un fonds qu’il maîtrisait comme l’histoire de sa ville, admirablement. Sous sa houlette, place des Terreaux puis au palais Saint-Jean, j’exploitais les gros volumes du Bulletin municipal officiel, je dépliais avec respect les affiches des fêtes du 14 juillet et les calques des projets de feux d’artifice, j’examinais les photographies de l’inauguration de l’Exposition internationale de 1914 par Édouard Herriot et Raymond Poincaré...
Même si une nomination en classe préparatoire, au Lycée du Parc, m’a détourné des poisons et délices de la thèse d’État, le résultat de ces plongées dans les archives municipales n’a pas été perdu. Il a alimenté un certain nombre de contributions à des revues et des ouvrages d’histoire lyonnaise comme, entre autres, un article sur le 14 juillet à Lyon, que j’eus le plaisir d’écrire en 1978 pour Henri Hours, dans sa Revue du Lyonnais.

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Entre 1880 et 1914, la fête nationale et républicaine du 14 juillet était célébrée au sens le plus fort du terme, tout particulièrement à Lyon que le Progrès avait sacré en 1900 " capitale de la République ".

En 1884, quatre ans après le vote de la loi instituant la nouvelle fête nationale après la victoire complète des républicains, le 14 juillet relevait plus du combat que de la célébration. Obliger un curé à pavoiser de tricolore une église qui, depuis 1789, était propriété publique, c’était lui demander de reconnaître que la République était désormais le régime durablement constitué de la France. Le Pape Léon XIII, en 1892, ne demanderait rien d’autre aux catholiques français. Mais le curé d’Ainay, par son refus abrité derrière l’argument de respect des vieilles pierres, montrait que le " ralliement " à la République était une perspective qui lui répugnait. Il était d’ailleurs à l’unisson de ses plus fidèles paroissiens, dont beaucoup avaient gagné leurs maisons des campagnes de l’ouest lyonnais par crainte des débordements populaires.

Depuis 1880, la décoration et l’animation des rues et des places étaient prises en charge par les communautés de quartier elles-mêmes, dans le cadre de plusieurs dizaines de comités " de citoyens ". Mâts et oriflammes constituaient les éléments de base d’une décoration réussie. S’y ajoutaient les guirlandes de papier et de feuillages, convenablement garnies de lampions. Des banderoles soulignaient le contenu politique de la fête. Celle qui a été photographiée en 1900 dans le sixième arrondissement renvoie à la République démocratique, pacifique et sociale, celle des électeurs qui venaient de faire de Victor Augagneur le premier maire socialiste de Lyon.

Les rues étaient le cadre de festivités dont le programme reprenait, en l’adaptant, celui de la fête officielle fixé par le conseil municipal. Les sociétés musicales y avaient toute leur place : le cinquième arrondissement, en 1911, en comptait une douzaine, ce qui renvoie à la sociabilité du temps où la musique est toujours l’occasion d’un plaisir collectif, plaisir de jouer, d’écouter, de se rassembler. Dans le nombre figure une société " italienne " dont la participation au 14 juillet était l’occasion pour des immigrants de montrer leur volonté d’insertion dans la communauté (républicaine) lyonnaise. Quant aux " divertissements et jeux divers " signalés sur l’affiche, ils contribuent à assimiler ces fêtes de quartier aux fêtes des villages de la campagne lyonnaise.

Qui pensait en ce 14 juillet 1911, du côté de Saint-Jean ou de Vaise, que les retraites aux flambeaux déboucheraient un jour d’août 1914 sur la mobilisation générale, prélude à l’engloutissement de tout un monde, que les documents d’archives permettraient seuls de ressusciter ?


Bibliographie

Jacques PREVOSTO, " La célébration du 14 juillet à Lyon ", Revue du Lyonnais, T. I, n° 3, 1978, pp. 159-184.

Jacques PREVOSTO, " Entre Marianne et Marie ", dans Le Rhône et Lyon, de la Préhistoire à nos jours, sous la direction de Gilbert CARRIER, Éditions Bordessoule, 1987, pp. 332-347.

Jacques PREVOSTO, " Soixante ans de République ", dans Histoire de Lyon, t. II : Du XVIe siècle à nos jours, sous la direction de Françoise BAYARD et Pierre CAYEZ, Éditions Horvath, 1990, pp. 351-370.