Le mouvement confraternel à Lyon entre 1460 et 1500

Les Archives municipales de Lyon me demandent de choisir et de présenter quelques documents susceptibles d’illustrer le gros de mon labeur. L’affaire n’est pas aisée et pourrait être comparée - dans le champ de la recherche - à ce qu’est le sondage d’opinion dans le champ de la vie politique : un instantané, guère plus. En près de quarante ans de vie universitaire, mes travaux ont naturellement, et à plusieurs reprises, changé de directions et je me suis successivement intéressé à la fiscalité, aux moeurs, à la sexualité, à l’histoire et aux représentations de la ville, enfin, tout récemment, aux habitudes langagières. Quelques constantes toutefois : la vallée du Rhône et le fleuve en son centre ont toujours constitué mes terrains d’analyse, et j’accorde une place majeure à l’histoire comportementale et culturelle des sociétés urbaines dans la période que je connais le moins mal, entre l’âge de Buridan et celui de Rabelais.

C’est pourquoi je retiens ici trois ou quatre témoignages intéressant le mouvement confraternel à Lyon entre 1460 et 1500. La ville, en ces années de croissance, voit, on le sait, sa population multipliée par trois ou quatre (de tels changements transposés en notre temps donneraient à penser) et vit tout à la fois les bienfaits et les maux de ce qui constitue, à l’échelle du XVe siècle, une véritable mondialisation.

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La dialectique sociale est, en ces lustres d’expansion ponctués de crises brèves, relativement simple à appréhender et comprendre : elle procède bien entendu des inégalités de revenus et, dans le petit peuple des différences de positions - et de statuts -. Les anciens citadins doivent défendre leurs places et les nouveaux venus, à grand peine, conquérir les leurs. D’où ces clameurs, tumultes, menaces, excès, dénoncés par les lettres royales de 1476 et perpétrés pendant une quarantaine d’années. Sous les bannières confraternelles, ces démonstrations de force visent à décourager les nouveaux ou à faire plier les anciens.

Les listes de confrères - on a présenté ici l’une des premières conservées - sont, pour l’élaboration de cette histoire, particulièrement précieuses. En dépit de leur apparente sécheresse, elles permettent - grâce à des analyses prosopographiques d’ensemble - de dessiner le profil sociologique des groupes confrontés et, du même coup, de mieux comprendre leurs stratégies.

Les cartes proposées définissent territorialement deux confréries Saint-Nicolas des riveyrands, l’une ancienne, siégeant au couvent des Augustins, l’autre nouvelle ayant son havre spirituel en la chapelle Saint-Nicolas du pont du Rhône. Ces deux societates se sont opposées pendant quinze ans avant de se reconnaître, mutuellement. La première rassemblait, on le voit, des voisins (bien pourvus) ; la seconde unissait des citadins de fraîche date résidant en plusieurs quartiers.

La multiplication des confréries, pour la plupart professionnelles (voyez la liste -incomplète- de juillet 1496), a modifié jusqu’en ses profondeurs la personnalité urbaine. A l’intérieur de la ville, en matière d’organisation sociale, les réseaux se sont substitués aux territoires et les représentations cérémonielles ou symboliques de la cité ne sont pas sorties indemnes du changement. Entre les réalités du travail quotidien et le champ de l’imaginaire, l’histoire des confréries en ses espaces encore ombreux, réserve ainsi, on le devine, une multitude de cheminements érudits. Et voici notre vieux chercheur reparti pour de nouvelles aventures...

(La suite à la prochaine exposition)


Bibliographie

Jacques ROSSIAUD, " Formes et structures de la sociabilité ", dans Histoire de Lyon des origines à nos jours. T. I : Antiquité et Moyen Àge, dir. André PELLETIER et Jacques ROSSIAUD, Le Coteau,Éditions Horvath, 1990.

Jacques ROSSIAUD, " Du récit judiciaire à l’histoire : essai sur le Tractatus de bellis et induciis... et la préhistoire municipale de Lyon ", dans Comprendre le XIIIe siècle, dir. Pierre GUICHARD et Daniel ALEXANDRE-BIDON, Lyon, 1995, pp. 73-83.

Jacques ROSSIAUD, " Mouvement confraternel et hommes du fleuve dans les villes du bas Rhône à la fin du Moyen Age ", La gazette des archives, n° 174-175, 1996, pp. 298-312.