Le pont volant (1780-1795)

Terme étrange et mystérieux que celui de " pont volant " ! Il évoque, dans l’inconscient populaire, quelque ouvrage d’allure plus ou moins fantomatique, voué à d’impossibles transformations aériennes !

Les dictionnaires usuels ne donnent pas de définition précise de cette appellation, mais on trouve une représentation imagée d’un pont volant dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : c’est un pont de bateaux lancé sur un cours d’eau lorsqu’un événement fortuit en empêche le franchissement par les voies habituelles, avec cette particularité qu’il est conçu pour autoriser éventuellement le passage des embarcations circulant sur la rivière.

Ainsi, lorsque l’on reconstruit un pont, pour ne pas interrompre le passage, on établit un tel ouvrage qui servira le temps de la reconstruction et qui sera démonté ensuite. C’est donc un ouvrage éphémère. Par le passé, au XVIIIe siècle notamment, Lyon a connu plusieurs ponts volants.

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C’est une raison de ce genre qui a conduit, en 1780, la municipalité lyonnaise à établir un pont volant sur la Saône, approximativement au droit du chevet de la cathédrale Saint-Jean. En effet, le pont de l’Archevêché qui reliait Bellecour à Saint-Jean, érigé en 1634 à l’emplacement de l’actuel pont Bonaparte, s’était partiellement écroulé en 1778, et il avait fallu le démolir. C’était un pont de charpente, et sa reconstruction en pierre était programmée, mais il fallut attendre 1807 pour qu’il soit remis en service.

En 1780, deux ans après l’interruption du trafic à cet important emplacement, un pont de bateaux, même provisoire, était donc le bienvenu. D’emblée, la population lyonnaise l’appela " le pont volant ", transformant en nom propre ce qui n’était qu’une dénomination générique.

On connaît le pont volant grâce aux récits des chroniqueurs de l’époque et aux estampes des dessinateurs. Parmi ces dernières, deux gravures le représentent : l’une est une gravure anglaise figurant la vue de Lyon prise du quai Saint-Antoine ; l’autre est une eau-forte dessinée par J.J. de Boissieu en 1785, prise du même endroit, mais sur un panorama plus étendu, allant du pont d’Ainay, au sud, jusqu’au pont de Pierre (pont du Change) au nord.

Mais jusqu’en l’an 2000, on ne connaissait pas les détails constructifs de cet ouvrage qui, reposant sur des bateaux flottant sur la rivière, devait pouvoir " s’ouvrir " pour laisser passer les embarcations circulant sur la Saône.

C’est maintenant chose faite : en reclassant leurs réserves, les Archives municipales de Lyon ont jugé judicieux d’attirer l’attention des lecteurs sur le plan du pont volant, tel que son architecte l’avait conçu en 1780.

C’est ce plan qui est présenté sur ce panneau.

Outre les dimensions précises des principaux éléments de l’ouvrage, ce plan offre l’intérêt de montrer le mécanisme qui permet au pont de " s’ouvrir " à la navigation. À cet effet, les deux bateaux du centre se sont arrimés dans la rivière à l’aide de pieux fixes et de cordages mobiles passant sur des poulies. On peut ainsi tirer les deux bateaux vers l’aval, et les positionner à la suite de leurs voisins, ce qui dégage un espace libre d’environ 20 mètres et laisse une place suffisante à la batellerie de la Saône.

Très apprécié par la population lyonnaise, malgré son caractère provisoire (un provisoire de quinze années !), le pont volant fut emporté par les glaces en 1795. Il fut remplacé par un pont fixe en charpente, construit approximativement au même emplacement en 1797 par l’architecte Querville. Ce nouveau pont reçut le nom de pont des Célestins, puisqu’il débouchait au milieu du quai du même nom sur la rive gauche de la Saône. Mais les Lyonnais, fidèles au souvenir de son prédécesseur, continuèrent à l’appeler " le pont volant ", au mépris de toute considération logique.

Singulière rémanence terminologique dans l’esprit de la population lyonnaise !

Plusieurs tableaux et estampes représentent ce " pont volant bis ". C’est le projet de son architecte, Querville, conservé aux Archives municipales de Lyon, qui figure sur ce panneau.