Protection des eaux de Lyon, dessin de Louis Cornillon, 1915

Ce dessin de Louis Cornillon ne laisse pas d’intriguer. Alliant l’inspiration patriotique, voire cocardière propre à la Première Guerre mondiale, à une grande finesse graphique, il évoque un aspect méconnu de la protection des populations civiles en temps de guerre, celle d’une ressource effectivement stratégique pour une grande ville, l’eau potable. Une inscription portée sur le dessin laisse supposer qu’il était destiné à servir d’enseigne à un poste militaire chargé de protéger l’usine élévatoire et les champs de captage de Vassieux, lieu-dit de Caluire en lisière du Rhône, qui alimentaient alors toute la banlieue lyonnaise. Craignait-on alors, dans ces premières années de la Grande Guerre, qu’une cinquième colonne vint empoisonner cette ressource vitale ? Action psychologique ou appréhension réelle d’une menace ? Finalement, l’ennemi viendra plus tard, et de l’intérieur, sous la forme d_une épidémie de typhoïde qui frappera la banlieue lyonnaise en 1928, à la suite d'une contamination par des eaux d'égouts. Ce dessin sorti de son contexte illustre trois points importants de l’histoire comme de l’actualité de l’alimentation en eau de Lyon.

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Tout d’abord Louis Cornillon, exploitant ici ses talents de paysagiste, nous propose un cadre large qui englobe la côtière des Dombes et les îles du Rhône, et résume ainsi comme par prescience un siècle et demi d’histoire de la ressource en eau de la ville. Depuis son apparition à partir de 1853 sous la forme d_un véritable réseau de distribution d’eau au sens contemporain, l’alimentation en eau de Lyon repose presque exclusivement sur l’exploitation de la nappe alluviale du Rhône, tout d’abord à Saint-Clair, Vassieux, et en face au Grand Camp, puis par migrations successives, dans les îles de Crépieux et Charmy, de l’arrière-plan au premier plan du tableau. Ce choix s’est finalement révélé judicieux et il est rare qu’une agglomération de cette taille dispose en son coeur même de la maîtrise de sa ressource.

L’usine de Vassieux est, en 1915, exploitée par la compagnie générale des Eaux qui a tissé à partir d’elle un extraordinaire réseau en couronne autour de Lyon, ville pour laquelle elle avait été créée en 1853 et dont elle a été en quelque sorte chassée en 1900 par la municipalisation du service. Cette société qui, après bien des vicissitudes, est redevenue le prestataire de services en matière d_eau potable du Grand Lyon a donné naissance au groupe Vivendi, parangon français et contemporain de la " world company " qui marie, pour combien de temps encore, la relative austérité des métiers de l’environnement et les paillettes hollywoodiennes de Canal Plus et de Universal.

Enfin, le dessin de Cornillon nous rappelle combien cette fonction banale qui relève de la " ville invisible " des réseaux techniques urbains est éminemment stratégique. Si les menaces de la guerre se sont éloignées, l’alimentation en eau potable de Lyon peut être à la merci d’une pollution majeure du Rhône amont. Ce ne sont plus les militaires qui protègent la ville de cette menace, mais une usine de secours à Miribel Jonage, dont le concessionnaire est bien sûr la compagnie générale des Eaux.