Lyon transformée

L’histoire de la société lyonnaise des Forces motrices du Rhône (S.L.F.M.R.) éclaire la création et le fonctionnement d’un grand service public urbain de production-distribution d’électricité. Son étude privilégie le débat constant entretenu avec le système technique, le marché et l’État. Rarement citée, souvent maltraitée, cette entreprise pionnière a fait l’objet d’une thèse de doctorat sous la direction de Pierre Cayez.
Les sources conservées aux Archives municipales de Lyon concernent les aspects administratifs et techniques du réseau de distribution, notamment au travers des versements de la Direction générale des Services techniques (D.G.S.T.) et des inventaires de la voirie urbaine. Elles proposent aussi un ensemble d’imprimés très importants, en particulier pour les projets d’alimentation en eau et en énergie de la ville de Lyon élaborés dans la seconde moitié du XIXe siècle.

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Entre 1894 et 1899, la S.L.F.M.R. établit dans l’est lyonnais une dérivation éclusée sur le Rhône, le canal de Jonage, équipée d’une centrale hydroélectrique de basse chute, Cusset. L’innovation était technique (plus puissante centrale française, plus long canal alimentant une usine hydroélectrique et plus important investissement hexagonal dans le secteur), législative (première loi accordant une concession pour mettre en valeur un fleuve domanial en vue de produire de l’électricité) et, surtout, conceptuelle. Tissant des liens entre électricité, industrialisation et urbanisation, Jonage souligna l’importance décisive du réseau dans une ville en mal d’énergie " abondante et bon marché ".
La S.L.F.M.R. choisit de délivrer un courant alternatif triphasé à 50 périodes. La fourniture des canalisations revint à la société suisse Berthoud-Borel. L’assemblée générale du 6 avril 1900 de cet ancêtre des Câbles de Lyon reconnut : " Jonage a été la cause déterminante de notre existence ".
Pour le tracé initial de son réseau, la S.L.F.M.R. alla au plus rentable : l’espace industriel des Charpennes-Brotteaux pour la force et les quartiers aisés de la presqu’île entre Hôtel de Ville et Bellecour pour la lumière. Les premiers abonnés furent approvisionnés le 19 avril 1897, à partir d’une usine thermique provisoire installée près des Brotteaux. Le dimanche 22 janvier 1899, la centrale de Cusset prit le relais.
De cette dernière, partaient des feeders à la tension de production des alternateurs (3500 V). Ensuite, les câbles haute-tension du réseau primaire alimentaient un réseau secondaire qui délivrait du 115 V. Les transformateurs qui reliaient ces trois réseaux devaient être placés hors de la voie publique : les installations industrielles les accueillaient dans leurs ateliers, mais un problème se posait pour la distribution aux particuliers.
Or, le conseil municipal de la ville de Lyon du 13 novembre 1894 avait projeté l’installation de kiosques destinés à l’affichage. En avril 1896, la S.L.F.M.R. proposa d’assurer gracieusement la construction, l’entretien et la mise en lumière de ces édicules. En retour, elle plaça ses transformateurs à l’intérieur et fut dispensée de la redevance pour occupation de voirie.
Le premier kiosque fut aménagé le 5 décembre 1896, place des Maisons Neuves. Comme les colonnes Morris à Paris, ce cylindre métallique de 1,20 m de diamètre par 3,75 m de hauteur était coiffé d’un couronnement de zinc ouvragé. À l’intérieur, les appareils étaient imparfaitement entassés, l’avarie d’un seul entraînant des perturbations fâcheuses sur les autres.
En dépit des incidents qui affectèrent sa distribution, l’électricité connut un essor rapide et considérable à Lyon. Elle combinait une innovation de produit, l’éclairage électrique, qui répondait à un besoin social, et une innovation induite de procédé, la force, qui correspondait à la recherche formulée par les industriels de réduction des coûts de la production. Ainsi, la Fée Electricité transforma radicalement les manières de vivre et de travailler dans une ville qui passait du grand commerce à la grande industrie.


Bibliographie

René CHAUVIN, Construction du canal de Jonage, 2 volumes, Paris, Librairie Polytechnique, 1902.

Alain et Denis VARASCHIN, La construction du canal de Jonage, L.L., La Luiraz, 1992.

Denis VARASCHIN, La Société lyonnaise des forces motrices du Rhône (1892-1946). Du service public à la nationalisation, thèse de doctorat, 3 volumes, Grenoble 2, 1996.

Denis VARASCHIN, " De la centrale au réseau. Au fil de la S.L.F.M.R. " , Bulletin d’histoire de l’électricité, n° 28, 1996, pp. 27-66.

Denis VARASCHIN, " Lumière sur Jonage. Les images de la représentation ", Bulletin du Centre Pierre Léon, n° 1-2, 1997, pp. 19-29.