Gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle


L'équipe de chercheurs en histoire du livre de l'E.N.S.S.I.B. mène depuis 1992 un projet de prosopographie des "Gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle" qui s'inscrit dans une enquête nationale plus vaste, pilotée par l'Institut d'histoire moderne et contemporaine du C.N.R.S. Il aboutira à la publication d'un dictionnaire biographique et d'un ouvrage de synthèse sur le monde du livre à Lyon au siècle des Lumières. Pour la période 1700-1800, il a permis de recueillir des indications biographiques sur environ sept cent personnes qui, de manière officielle ou illicite, ont fabriqué et diffusé des livres à Lyon à l'époque considérée : imprimeurs-libraires, relieurs, fondeurs de caractères, apprentis, compagnons, colporteurs, diffuseurs clandestins...
Ce travail repose sur le dépouillement de bibliothèques et d'archives lyonnaises (municipales et départementales), mais aussi extérieures : Bibliothèque nationale de France, Archives départementales de l’Hérault, bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel. Aux Archives municipales de Lyon, la recherche a porté sur la police des métiers (séries FF et HH).

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À la fin du XVIIe siècle, et au XVIIIe, les imprimeurs-libraires et relieurs lyonnais avaient l'impression de vivre une période de déclin, après les années fastes du XVIe siècle. Leurs homologues parisiens monopolisaient alors auteurs à la mode, nouveautés et privilèges. Les Lyonnais se trouvaient réduits à ne publier que des titres tombés dans le domaine public... ou à enfreindre la législation par la contrefaçon et la production d'ouvrages prohibés sous fausses adresses. Peu ou prou, tous furent réduits à ces expédients, s'exposant à une répression très vive au tournant des années 1700, qui vit de nombreuses destitutions et condamnations. Sans cesser totalement, les poursuites se firent moins nombreuses et moins dures après 1730, sans pour autant que la production de livres contrefaits et prohibés ne cesse. La volonté royale de surveiller très strictement ces métiers "à risques" se caractérisa par les règlements de 1676 puis 1696, et par la réduction du nombre d'imprimeurs autorisés à 12, et de libraires à 20 en 1739. Alors qu'il n'existait qu'une corporation depuis le XVIe siècle, les relieurs-doreurs, qui se disaient aussi libraires et vendaient parfois des livres, furent progressivement marginalisés et exclus par les imprimeurs-libraires. La partition des métiers devint effective en 1717 par la promulgation des statuts de la communauté des "libraires-relieurs-doreurs", qui n'avaient plus de "libraires" que le nom qu'ils se donnaient, et que leur contestaient les imprimeurs-libraires. Cette communauté était dirigée par deux "maîtres gardes", assistés de deux adjoints. Le recueil factice, composé d’imprimés et de copies manuscrites de textes réglementaires ou de suppliques diverses, que nous présentons, s'est transmis au sein d'une dynastie de relieurs des XVIIIe et XIXe siècles, dont certains ont présidé aux destinées de la communauté, les Devers. Il a été donné aux Archives municipales en 1996, par un descendant de cette famille. Il rend compte du conflit séculaire qui opposa les relieurs aux imprimeurs-libraires, et du marasme de leur situation. A ce titre, il est un témoignage précieux de leur irrémédiable déclassement et de la vie des gens du livre du Lyon des Lumières.