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La taxe municipale sur les chiens |
Puisant ses questionnements dans lhistoire des comportements, lhistoire des animaux est dabord celle de la relation de lhomme à lanimal. Saisir dans le temps une supposée évolution des sensibilités à légard des bêtes - si évidente pour le sens commun - implique la mise à jour de clefs de compréhension qui ne sont jamais directement observables dans les sources classiques de lhistorien ; quel document nous dit, par exemple que lon " aime " plus ou moins nos animaux aujourdhui quautrefois ? Afin de satisfaire à cette préoccupation, je me suis intéressé à des sources aussi diverses que la littérature zoophile (qui connaît son essor au XIXe siècle), le contenu des épitaphes des cimetières animaliers (celui dAsnières - le plus ancien - date de 1899), le témoignage de vétérinaires, mais aussi à toute archive municipale ou départementale concernant les animaux errants, la fourrière et la taxe municipale sur les chiens. Létude de cette dernière contribue pleinement à une meilleure connaissance de la relation quentretiennent hommes et chiens depuis le milieu du XIXe siècle, en apportant des éléments de réponse à quelques questions essentielles. Par exemple, quelle a été la progression du nombre de chiens, alors que lon en compte aujourdhui près de 8 millions en France ? Ou encore, si lINSEE peut maintenant dresser un portrait sociologique des possesseurs danimaux, que peut-on apprendre de ceux qui sacquittaient jadis de la taxe ?
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Les médailles exposées témoignent dun passé proche ; les Lyonnais payèrent cette contribution municipale directe de 1856 à 1971. Les plus belles - les premières - sont en émail et représentent aussi bien des chiens de chasse, de compagnie (on disait alors " de luxe "), de garde ou de berger. En fait, ce nest quen 1897 que Gailleton signe un arrêté imposant le port obligatoire de la médaille, afin de lutter plus efficacement contre un problème persistant, la propagation de la rage. Cette mesure vise les maîtres qui laissent divaguer leur chien, mais aussi les mauvais payeurs qui sont ainsi plus facilement repérables par les agents de la force publique. En fait, dès son établissement quarante ans plus tôt, ce nouvel impôt est mal accepté. On apprend quà Paris, des cadavres de chiens noyés dérivent sur la Seine et même - si lon sen tient aux faits relatés par un auteur de lépoque - quaux mines dAnzin (Nord), " soixante pauvres chiens sont jetés vivants dans un feu de forge, sous le beau prétexte de les soustraire à la taxe municipale " (Dr Joly, 1859). À Lyon, en 1874, le préfet du Rhône sagace de constater que si 7353 individus déclaraient un animal en 1856, ils sont moins de la moitié à le faire dix-huit ans plus tard ; lannée suivante, leur nombre est quasiment multiplié par trois ! De la même manière, les déclarations augmentent de plus de 40 % au moment de linstauration de la médaille. À la veille du XXe siècle, environ 13 % des ménages lyonnais ont donc au moins un chien ; pourcentage qui conduit à se demander en quoi le phénomène " animal de compagnie " a connu les fortes mutations quon lui prête aujourdhui. Là encore, la matière que constitue la taxe municipale peut nous guider dans nos recherches. Référençant nominativement les possesseurs de chiens, les registres de taxe permettent den dresser une signalétique succincte mais intéressante. Par confrontation avec les dénombrements de population, on connaît notamment la composition du ménage, la situation familiale, ladresse, la profession, lâge et le lieu de naissance de tous ceux ayant déclaré un animal. Et il est évident que chacune de ces données nous parle de ces individus et nous aide à comprendre la place du chien en milieu urbain, ainsi que les liens affectifs lunissant ou non à son maître.
Bibliographie
Éric BARATAY, L'Église et l'Animal. France XVIIe-XXe siècle, Paris, CERF, 1996, 382 p.
Éric BARATAY et Jean-Luc MAYAUD [dir], " L'animal domestique (XVIe-XXe siècle) ", Cahiers d'histoire, tome XLII, n° 3-4, 1997, pp. 409-768.
Nathalie BLANC, Les animaux et la ville, Paris, Odile Jacob, 2000, 232 p.
Jean-Pierre DIGARD, L'homme et les animaux domestiques. Anthropologie d'une passion, Paris, Fayard, 1990, 325 p.
Jean-Christophe VINCENT, " Le rapport à l'animal de compagnie à travers le traitement de sa mort (France, XXe siècle) ", dans La sépulture des animaux : concepts, usages et pratiques à travers le temps et lespace. Contribution à létude de lanimalité, journée détude, université de Liège (Belgique), 18 mars 2000, pp. 37-54.