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La femme dun notable lyonnais écrit à son mari, 1570-1572 |
Natalie Zemon Davis a travaillé sur la Réforme à Lyon, mais aussi sur lhistoire sociale et culturelle de la période moderne, en particulier la culture populaire, avant de sintéresser, ces dernières années, à lhistoire des femmes.
Pour cette exposition, elle a choisi de présenter les lettres écrites par lépouse dun notable lyonnais et officier royal, à son mari en séjour à Paris. Le second document sélectionné est la sentence dun conflit qui inaugure une période importante de luttes entre les compagnons imprimeurs et leurs maîtres.
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La femme dun notable lyonnais
écrit à son mari, 1570-1572
Marie Teste, issue dune famille marchande de Lyon, a épousé Guyot de Masso, membre dune famille de commerçants très considérée. Garde des sceaux pour le roi à Lyon dès 1567, receveur des deniers communs et puis échevin en 1570, Masso a été envoyé à Paris comme député de Lyon pour trois longs séjours entre 1570 et 1572. Durant cette période, il servit dagent influent de la politique catholique contre les protestants.
Dans les lettres que contient ce registre Marie Teste envoie à son époux les nouvelles des naissances, des maladies et des décès. Elle le renseigne sur les mouvements militaires des protestants dans la région et lui fait des états de ses affaires commerciales.
Mais surtout, elle lui fait part de sa " peine " en son absence et de son impatience à recevoir des réponses en retour. Dans une lettre datée du 16 juillet 1572, elle lui reproche de ne pas donner de nouvelles et menace de ne plus lui écrire - mais elle ne tiendra pas sa résolution. Elle le soupçonne de fréquenter " les dames de Paris " ; elle laccuse de retarder son retour et de ne regretter sa ville natale que pour son vin : " vous ne regrete Lion que pour boire frais et non point pour selle qui andure tant de facherie pour vous ". Mais elle le supplie de revenir, lui souhaite bonne santé et termine avec les formules dobéissance et daffection dune bonne épouse.
Lensemble de cette correspondance donne une idée précieuse des rapports et des pratiques épistolaires entre maris et femmes dans les familles des marchands aisés et des officiers.
Les compagnons imprimeurs de Lyon
sorganisent, 1539
Après plusieurs mois de luttes et de grèves, Jean du Peyrat, lieutenant-général de la Sénéchaussée de Lyon, a convoqué les ouvriers imprimeurs de Lyon et leurs maîtres. Les compagnons ont tenu des assemblées, prêté serment, refusé de travailler et contraint les apprentis à quitter latelier.
Les compagnons accusent les maîtres : ces avares refusent de nous nourrir et de nous payer nos gages. Les maîtres accusent les ouvriers : ces gloutons ne sont jamais rassasiés. Les maîtres proposent de payer un gage en argent pour que les ouvriers salimentent eux-mêmes. Impossible, répondent ceux-ci : le travail de limprimerie est un travail déquipe et le retard des traînards obligerait à arrêter la presse.
Le juge du Peyrat retient quelques-unes des revendications de part et dautre : les maîtres imprimeurs doivent payer les gages accoutumés chaque mois et nourrir leurs compagnons en " vin, pain et pitance raissonnablement et honnestement ". Mais assemblées, " monopolles ", serments, port des armes dans la rue et choix de leurs propres jours de fête sont interdits aux ouvriers et ceux qui incitent les " mutines " seront punis. Les maîtres ne pourront pas " déboucher " un compagnon pendant une impression sil fait son devoir, mais peuvent augmenter librement le nombre dapprentis.
Ce document est la première description de la contestation ouvrière dans limprimerie lyonnaise, une contestation qui durera plus de trente ans à Lyon, à Paris, et dans les autres villes. Déjà apparaissent les stratégies caractéristiques des compagnons imprimeurs : le contrôle des offres du travail, la fixation de leurs propres jours de fête et linsistance à faire reconnaître quils ont qualité à sasseoir à la table de leurs maîtres. Déjà apparaissent les formes de lorganisation ouvrière qui sépanouiront bientôt en plein compagnonnage - la Compagnie des Golfarins - avec ses rites et serments clandestins et sa forte affirmation de lhonneur de lImprimerie.
Bibliographie
Natalie Zemon DAVIS, Les cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au XVIe siècle, Paris, Aubier, 1979.
Natalie Zemon DAVIS, Les récits de pardon au XVIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1987.
Natalie Zemon DAVIS, Juive, Catholique, Protestante. Trois femmes en marge au XVIIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1997.
À paraître
Natalie Zemon DAVIS, Le don en France au XVIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2001.